Histoire d'un morpion grincheux
Mouai, je va pas vous t'nir le crachoir longtemps ave mes discours, mais j'ai qu'une chose a dire : "de l'air mon gars!.", et si t'as pas compris, t'attends pas a mieux, je suis un grincheux, c'est tout...
l'éveil
En 1815, Robert Houligan alors âgé d’une dizaine d’années passait le plus clair de son temps sur les docks de Cameron, ville fleurissante s’il en ait tant la population était bigarrée. On pouvait y entendre parler l’Acadien, le Français, l’Espagnol, le Créole et l’Anglais indistinctement, et ce mixage linguistique ravissait ses oreilles comme jamais.
Nombre de navires de commerce choisissaient d’accoster sur les côtes verdoyantes de la Louisiane sachant que, peu importe le pays d’origine d’où ils venaient, ils trouveraient toujours quelqu’un qui les comprendrait, et de par la nature du sol, on pouvait dire qu’il suffisait de jeter une poignée de graines à la volée pour être sûr de voir pousser seulement dix jours plus tard un champ entier de jeunes pousses dorées à souhait.
On pouvait trouver de tout sur les quais, et l’effervescence constante des esclaves autour des ballots d’étoffes, des tonneaux de rhum, des fourrures, des épices, des chevaux et bétail à cornes faisait un va et vient entre ces derniers et les grands hangars de stockage.
Sur la place centrale du marché, une grande estrade avait était dressée il y a quelques années déjà, et tous les samedis matin, une enfilade de jeunes négres et négresses y étaient poussés à grands coups de bâtons pour y être vendus. On pouvait lire la peur sur leurs visages, et, en y regardant de plus près, le sillon du fouet profondément marqué sur leurs dos courbés. Les plus récalcitrants portaient une muselière de fer emprisonnant tout le bas de leur visage qui leur interdisait le moindre mouvement de tête. Pour les rendre le plus présentable possible, leurs corps étaient recouvert de graisse, cachant les blessures et autres problèmes du voyage.
A cette époque, robert ne voyait pas toute l’horreur de la situation, c’était son quotidien, il n’avait connu que cela, et ce n’était pas sa famille qui pouvait lui ouvrir les yeux, elle qui possédait et exploitait plus d’une trentaine d’esclaves dans sa plantation familiale.
la rencontre
Quelques années plus tard, le domaine c’est agrandi après un mariage de raison, Robert ayant épousé la fille ainée de ses plus proches voisins. A défaut d’avoir trouvé l’amour, son père est sur le point de lui laisser les rênes du domaine qui compte une centaine d’esclaves maintenant, sans parler de la demi-douzaine de jeunes métis nés de pères inconnus, futur main-d’œuvre a moindre coup, pour l’exploitation. Robert avait appris à manier le fouet avec brio et savait mater les fortes têtes. C’est lui maintenant qui s’occupait de l’acquisition des esclaves et partait tous les samedis en ville, pour être sûre de ne pas louper une bonne affaire.
Un matin, il remarqua une jeune femme parmi l’alignement des nouveaux arrivants. Elle avait non pas de la peur, mais une sorte de résignation dans son attitude, à l’exception de ses yeux couleur noisette, qui montraient une telle curiosité pour tout ce qui l’entourait qu’ils lui dévoraient littéralement le reste de son visage. Ce jour-là, Robert compris que sa vie allait basculer, mais pas à quel point. Après son acquisition, où plusieurs autres propriétaires terrestres bataillèrent âprement pour avoir le lot, les ventes se faisant généralement par lot de 4 ou 5 individus, robert avait dû payer un quart de plus que le prix du marché pour l’emporter.
• Elle s’appelait Leki-ye-delu Ayawa et venait d’ashanti. Elle lui apprit que son nom voulait dire jeudi, car chez elle, les jeunes filles prenaient comme nom le jour de la semaine ou elles venaient au monde.
La sanction
Au lieu de la mettre au travail des champs, Robert l’affecta aux cuisines, et n’eut d’yeux plus que pour elle. Leki lui donna un enfant, une jolie petite fille métissée et afficha ouvertement son bonheur sous les fenêtres des maîtres, s’attirant de par ce fait, les foudres de l’épouse de Robert, elle qui n’arriva jamais à lui donner une descendance.
Il n’y a rien de pire qu’une femme blessée dans son amour propre. Le père de Robert voyait lui aussi l’amour de son fils pour une esclave d’un mauvais œil ; on pouvait faire autant de petits métis qu’on voulait, mais ne jamais parler d’amour. Il essaya de raisonner son fils mais en vain, Robert aimait Leki et comptait bien l’affranchir pour l’épouser. Son père le menaça de le déshériter mais rien n’y fit.
La sanction ne fut pas longue à venir, car un matin on retrouva robert laissé pour mort dans un de ses champs, des hommes lui étaient tombés dessus sans crier garde, l’avaient roués de coup et menaçés de le pendre s’il ne rentrait pas dans le droit chemin. On supposa, à juste titre, qu’il s’agissait des frères de sa femme, mais on ne put jamais le prouver. Son père vendit l’enfant de Leki le lendemain même à un domaine éloigné. Pour la jeune esclave, ce fut un vrai déchirement. Elle essaya de s’enfuir mais fut rapidement rattrapée, fouettée avant d’être jetée en pâture à deux molosses. Elle ne mourut pas tout de suite, les chiens ayant été retenus au dernier moment, histoire de prolonger l’agonie quelques heures encore…
Robert disparu dès qu’il put grimper sur un cheval, n’emportant avec lui qu’un maigre sac de vêtements, son chagrin et une haine farouche pour tout ce qui portait le nom de Houligan…
Vingt cinq ans plus tard...
J’étais parti depuis bien des lustres a la recherche d’une mine d’or dans les rocheuses, quand la neige c’était mise à tomber à gros flocons, m’obligeant à trouver refuge dans une grotte partiellement effondrée. Cette halte forcée avait durée tout l’hiver 1857, j’y ai perdu deux doigts de pied et y ai gagné mon surnom, « Le grincheux », car a par parler aux chauves-souris et à mon batard, un vieux corniaud tout aussi pouilleux que moi, personne ne pouvait se vanter depuis d’avoir eu une vraie discussion avec moi.
C’est en redescendant sur Breckenridge au printemps suivant que je croisais Abi la Blanche, une allumée de la cafetière, qui proclamait à qui de mieux, qu’elle bâtirait une ville lumineuse entre Keystone et Arapahoe Basin, et que, quiconque regarderait vers le versant ouest des rocheuses, pourrait l’apercevoir, telle une étoile dans le ciel, une pauvre âme, je vous le dis, ça faisait peine à voir.
J’ai cherché mon filon tout le printemps et une partie de l’été, presque avec succès si on veut être honnête, mais ma passion pour le bon whisky en engloutit tout le bénéfice. Mon dernier verre me fit faire un vol plané dans la boue de la rue principale, faute d’avoir pu m’acquitter de son paiement.
N’ayant pas voulu en rester là, on a sa fierté ou on ne l’a pas, j’avais marché d’un pas chancelant vers les doubles portes battantes du saloon, mais comble de malchance, celles-ci s’étaient ouvertes dans l’autre sens juste à ce moment-là, me faisant atterrir cette fois-ci, droit dans les bras du shérif.
Apres deux jours passé en cellule, un pour reprendre mes esprits, et le deuxième pour faire la lessive du shérif, on me donna une brochure sur une ville nommée Vegas, m’indiqua la bonne direction de celle-ci, et me signifia que ma présence ici n’était plus du tout nécessaire et souhaitée.
Je n’eus pas de mal a trouver cette fameuse ville, car en effet, la nuit au loin je pouvais voir briller les lumières du Lodo (Lower Downtown) à des milles à la ronde…
Deux années de paix, de quiétude reposante, deux années se sont écoulées au gré des saisons…
Je fus réveillée tôt ce matin, par des bruits de chariots dans la rue. Des hommes de tous les âges s’interpelaient à vive voix, en s’esclaffant bruyamment pour s’encourager, face a l’effort qu’ils s’apprêtaient a fournir.
Un flot sans cesse grandissant de nouveaux émigrants que le chemin de fer apportait dans ses wagons avait décidé de poser bagages.
Quelques-uns, surtout des fermiers, construisirent des ranchs de-ci, de-là sans réelle logique, choisissant plus par le cœur que la raison, faisant valoir leur droit a la terre que la loterie nationale leur offrait.
Mais pour la plus grande part des nouveaux pionniers, la charmante ville de Végas devait être leur point d’ancrage, il fallait donc construire et construire encore…
La ville venait d’être rattrapée par le temps, inexorablement.
A cette époque, on pouvait se coucher et, au matin sans qu’on sache comment, une boutique faite de trois bouts de planches vous faisait face, avec ses bonimenteurs, ses camelots trônant au milieu d’un amoncellement de casseroles et autres ustensiles bon marchés.
Les conseillers faisaient de leur mieux pour garder un semblant d’ordre dans ce tumulte, mais on sentait bien que ce n’était plus suffisant, pas avec cette croissance démographique débordante.
Toute cette agitation me poussa à me poser une question : « n’était-il pas temps de se remettre en route vers de nouveaux horizons et espérer un peu plus de sérénité ? ».