Les hommes bavassaient tant et plus. Avec des expressions entachées de hoquets disgracieux qui ne facilitaient pas la compréhension de leur baratin pour la petite apache. Jamiti surtout avait l’air embrumé et confus. Le pseudo mexicain semblait mieux tenir l’eau-qui-brule.
Lorsqu’il vint s’assoir auprès d’elle, elle eut un léger mouvement de recul et un raidissement de son dos la fit se pétrifier ainsi à moitié penchée vers Jamiti. Son cœur battait dans sa poitrine comme une bête affolée voyant un mâtin tous crocs dehors. Pourtant il n’avait rien d’agressif autre que ces nombreuses marques de combats ou de torture, elle ne sut donc dire pourquoi cette aversion primitive envers lui. Et à vrai dire cela l’agaçait, elle se sentait bête. Il lui tendit une bouteille au contenu foncé presque opaque, couleur de sang. Elle le regarda avec des yeux agrandis par l’affolement de la méprise :
« Pas boire sang ! Kayaa boire eau. »
Mais il était déjà passé à autre chose : tentant de soigner à la manière barbare des visages pales une de ses affreuses blessures. A le voir grimacer de douleur elle se demanda s’il en prenait un certain plaisir ou si réellement il ne savait pas s’y prendre. Soufflant pour réprimer ses pulsions négatives, elle se mit à fouiller son paquetage et en extirpât une petite bourse en peau de laquelle elle sortit 3 feuilles séchées différentes et une fiole au contenu jaune brillant mais pâteux.
Elle approcha ses mains timidement de l’épaule abimée, une fois..., deux fois..., puis finit par arriver à oser toucher le tissu qu’il s’était attaché maladroitement autour. Elle le regarda à cet instant, et ne voyant rien dans son regard gris qui lui intimait d’arrêter, elle commença par détacher lentement le bandage, puis fit couler un peu de la substance couleur de soleil sur la mauvaise plaie, y appliqua le cataplasme de feuilles séchées pour enfin refermer le tout dans sa gangue cotonneuse. Le sourire du travail bien accompli se dessina sur son visage toujours aussi crasseux et elle se lécha le doigt pour le nettoyer du bon miel qu’elle venait d’appliquer.
Son ventre se rappela alors à son bon souvenir à cet instant et Kayaa choisit donc ce moment pour enlever le dindon de sa pique de bois. Elle arracha une belle cuisse dorée qu’elle tendit à Jamiti, une autre qu’elle fourra dans les mains du musicien en lieu et place de sa bouteille, et chipa une aile agrémentée d’un bout de filet pour sa propre satiété.
Elle écoutait d’une oreille distraite ce que le blanquet disait, toute à son festin bien mérité, mais elle comprit pourtant qu’il allait bientôt partir assez loin. Elle déglutit, passa sa langue sur le pourtour de ses lèvres pour en absorber les derniers sucs de volaille puis le regarda longuement. Elle ne voulait pas le perdre, elle s’était fait à cette compagnie, même étrange et contre nature comme il disait. Alors elle assena dans un sourire, mais d’un ton qui ne souffrait aucune négociation :
« Moi suivre Jamiti. »