La valmontaise ecoutait le recit du vieil homme, allanguie et bercée par cette voix monocorde mais pourtant agréable. Elle se rendait compte qu'elle écoutait mais n'entendait pas, ses paroles se melant à la douce melopée que Jack faisait sortir de son instrument. Un sourire naquit sur son visage traduisant son bien être du moment ... reflexe pavlovien d'un père attentionné qui vous raconte une historie pour vous endormir.
Puis il l'interpella, lui demanda à son tour de narrer son histoire. Alors elle se redressa sur son séant et croisa les jambes en tailleur devant elle, comme une squaw lui avait apprit il y a peu. Elle prit à son tour une rasade de whisky et laissant son regard divaguer tour à tour dans ceux de ses partenaires d'un soir, elle raconta.
Elle raconta sa famille noble française, son père cadet destiné à la prêtrise qui s'en fut un beau matin au bras d'une blonde chandelière qu'il avait tant aimé qu'elle en fut vite engrossée. Puis le depart sur un grand vaisseau de bois vers les Amériques, en quette d'un eventuel avenir, puisqu'en France tout était bouché par le patriarche en colère qui avait renié le dernier de ses rejetons. Elle narra l'accouchement prématuré à bord du navire, l'hémorragie, la mort de sa mère pour sa propre naissance. Les débuts aux Amériques, le père aimant qui la dorlottait et trimait au travail pour lui donner l'education dont il revait pour elle. Sa fuite vers l'Ouest, toujours plus à l'Ouest, vers l'or... Puis la maladie et la mort de son géniteur, et enfin ses errances orphelines à travers les grandes plaines jusqu'à rencontrer Ted ... son Ted ... avec qui elle avait fondé un ranch qui devint bourgade et s'elevait maintenant au rang de ville. Elle raconta ce Ted là, aux mains balladeuses et à l'haleine chargée mais pourtant si mystérieusement envoutant.
Le récit avait duré certainement un bon bout de temps. Elle avait parlé, parlé, parlé, sans vraiment s'en rendre compte, comme une thérapie inopinée. A mesure que les mots décrivaient son histoire, elle s'en sentait relachée, libérée, comme si les chaines qui la retenaient s'envolaient avec le son de ses paroles. Les quelques rasades l'avaient aussi desinibée, et aidée à extérioriser tout ce lourd passé.
Un long soupir vint ponctuer tout ceci elle elle n'osa regarder autour d'elle, de crainte de les trouver tous endormis par son récit sans doute soporifique.